Je passe tout mon temps libre sur ma console de jeux. Mes parents ne sont pas contents, ils me considèrent comme un drogué. Au collège, ça va parce que je retrouve des copains qui jouent aux mêmes jeux que moi et on échange des astuces. Je n'ai pas l'impression d'avoir de problème, je voudrais juste que mes parents me laissent jouer tranquille. Enfin, surtout mon père... il n' est pas souvent là mais quand il me voit devant l'écran, il me demande toujours d'arrêter.
Marceau, jouer aux jeux vidéo permet de se vider la tête. Pendant que tu partages les aventures et les émotions de ton personnage, tu ne penses à rien d'autre. C'est la même chose lorsque l'on est plongé dans un livre qui nous passionne ou dans une série télévisée. C'est une façon d'échapper à la réalité. Le fait de fuir la réalité n'a rien d'original, c'est quelque chose qui existe depuis toujours, ce sont les moyens d'y parvenir qui évoluent. Jouer aux jeux vidéo est un moyen socialement adapté et sans danger.
La question qui se pose c'est de savoir pourquoi tu as besoin de fuir la réalité. La plupart du temps, pour résoudre ses problèmes, il faut mieux agir. C'est à dire faire quelque chose pour modifier la situation qui pose problème ou du moins pour éviter qu'elle ne se reproduise à nouveau. Mais fuir la réalité peut être intéressant dans deux cas. Le premier c'est lorsque l'on doit attendre sans pouvoir agir. Par exemple lorsque l'on a la jambe cassée et que l'on doit rester immobile pendant qu'elle guérie d'elle-même ou encore lorsque on attend la décision du conseil de classe pour le passage en classe supérieure. Dans ces situations, il n'y a rien à faire si ce n'est essayer de rester le plus calme et le plus tranquille possible. Jouer aux jeux vidéo permet de ne pas s'énerver, de ne pas trop stresser. C'est un bon dérivatif. Le second cas dans lequelle fuir la réalité est intéressant, c'est lorsque l'on se sent impuissant devant cette réalité, ce qui est souvent le cas lorsque l'on est un enfant. Mais ce n'est pas du tout satisfaisant car dans ce cas le problème ne se résout pas de lui-même, il ne suffit pas d'attendre. On peut donc se retrouver dans une fuite en avant qui n'augure rien de bon.
Ce sont leurs problèmes personnels que la plupart des gens fuient dans les jeux vidéos ou dans un autre dérivatif. Il s'agit avant tout de ne pas ressentir les informations de mal-être qui proviennent de l'intérieur de soi. Pour les enfants précoces comme toi, cela peut être un peu plus compliqué. En effet les précoces sont des hyper-sensibles, ils ressentent leurs émotions mais également toutes les émotions des personnes qui les entourent. Les précoces peuvent ressentir les émotions des autres et c'est quasiment impossible de leur cacher ce que l'on ressent dès lors que l'on est prêt d'eux. C'est donc peut-être cela que tu fuis, Marceau, les émotions de ta famille, peut-être de ton père en particulier, d'où ta tendance à te réfugier dans les jeux vidéo lorsqu'il est là. Tout comme il a peut-être tendance à se réfugier dans son travail pour éviter de ressentir son malaise intérieur.
Souvent les parents ne comprennent pas pourquoi leurs enfants se préoccupent à ce point de leurs émotions. En fait, c'est simplement par imitation. Lorsque les enfants précoces sont bébés, leurs parents, comme tous les parents, se soucient sans arrêt de ce qu'ils ressentent. Ils apprennent à déchiffrer les pleurs de leur bébé, à interpréter les signes annonciateurs de sommeil ou de faim, à reconnaître et à encourager les signes de bien-être. C'est comme cela que se tissent les liens entre les parents et les enfants. Mais dans le cas des enfants précoces, cela se tisse également dans l'autre sens. Les bébés précoces se montreront aussi attentifs que leurs parents, car ils ont compris que c'est comme cela que l'on prouve son amour pour l'autre : en l'aidant à se stabiliser dans une zone de bien-être. Le plus souvent les enfants précoces sont très attachés à leurs parents et souhaitent leur prouver leur amour en les aidant à se sentir bien.
Mais s'il est facile pour un parent de rendre son enfant heureux, c'est quasiment mission impossible pour un enfant de rendre son parent heureux tellement il a peu de prise sur le monde des adultes. La seule chose que peut faire un enfant c'est d'être une présence compatissante, de partager discrètement les émotions de ses parents et d'attendre, par exemple en jouant aux jeux vidéo, que leurs parents réussissent d'eux-mêmes à résoudre leurs difficultés. Les enfants choisissent ainsi de révéler par leur comportement le mal-être que les parents veulent camoufler. Seulement Marceau, des gens que tu aimes et qui souffrent, tu en croiseras sans cesse au cours de ta vie. Tu ne pourras pas attendre indéfiniment que tout le monde aille bien pour t'autoriser à être heureux. Et même adulte, tu seras souvent impuissant devant la souffrance des autres. Être capable de compassion est une qualité exceptionnelle mais qui peut faire énormément souffrir si on ne la contrebalance pas avec une certaine sérénité intérieure.
Car c'est de cela qu'il s'agit Marceau, il faut que tu t'occupes un peu plus de toi-même. Non pas en échappant dans les jeux vidéo aux émotions qui te submergent mais en plongeant au cœur de tes ressentis. La première des questions à laquelle tu dois répondre concernant ces ressentis, c'est de distinguer ce qui vient de toi de ce qui provient de ton entourage. Pour cela il suffit de t'isoler lorsque l'émotion pointe le bout de son nez. Si l'émotion devient plus forte lorsque tu es seul, c'est qu'elle t'appartient. Si au contraire, l'émotion a tendance à disparaître lorsque tu es seul, c'est qu'elle provient des autres. Avec le temps, tu apprendras à faire le distinguo plus facilement car parfois les deux sortes d'émotions peuvent être mélangés. Par exemple le malaise de ton père et ta tristesse de le voir malheureux.
Tu dois utiliser ta capacité de compassion avec parcimonie, il est nécessaire de bien réfléchir avant de partager les souffrances de quelqu'un. Tu auras sûrement quelques occasions dans ta vie et à ce moment là ta qualité de présence sera la bienvenue auprès de la personne qui souffre. Mais le plus souvent il vaut mieux renvoyer à la personne ce qui émane d'elle. Pour cela, ferme les yeux, imagine que tu mets dans une grande boite ce qui vient de la personne et imagine que tu lui redonnes le tout. Si tu veux tu peux envoyer tout plein d'amour avec. Si tu renvoies son malaise à ton père, il ne souffriras pas plus mais peut-être prendra-t-il plus conscience de celui-ci puisque tu ne l'aideras plus à le porter. Qui sait, ce sera peut-être pour lui l'occasion de s'occuper de lui-même et d'agir pour résoudre ses difficultés.
Par contre, les émotions qui sont les tiennes, tu peux les vivre pleinement : elles t'appartiennent. S'occuper de soi c'est ressentir profondément tout ce qui se passe pour soi, c'est être branché en permanence sur ses propres émotions et non pas sur celles des autres ou encore sur un personnage de jeu vidéo. C'est découvrir toute la gamme de sensations que notre corps peut éprouver, c'est verser des larmes sur ses tristesses, crier de joie sur ses victoires. Il ne s'agit pas d'égoïsme mais de résonner en accord avec ce que l'on vit. Ainsi tu te construiras solidement au rythme de tes peines et de tes joies, tu apprendras à faire face aux évènements et à résoudre les problèmes plutôt que de les fuir. Tu n'auras plus besoin des jeux vidéo mais tu continueras à y prendre du plaisir lorsque tu auras décidé que c'est le bon moment.