Les neurones miroirs sont en train de révolutionner les neurosciences. J’ose extrapoler un peu sur les découvertes à venir, cela permet de comprendre beaucoup de situations et d’élaborer des modes d’accompagnements très intéressants. Bien entendu, j’ai vérifié auprès de patients l’efficacité de cet abord.

Ce que l’on sait :

Lorsque je regarde quelqu’un faire un mouvement, mon cerveau fait ce mouvement, sauf que l’action est bloquée. Mon interlocuteur lève le bras, dans mon cerveau le mouvement de lever le bras se fait, toutefois mon bras ne se déplace pas, il garde sa position initiale. Le lecteur pourra constater combien souvent les petits enfants font les mêmes gestes que les adultes. Tout se passe comme si, pour eux, la commande moteur n’était pas inhibée.

Jusque là, les choses sont simples. Compliquons donc un peu :

Supposons une illustration imaginaire :

Je suis non-violent, jamais je ne frapperai qui que ce soit. Même vis à vis de mes enfants, je me force pour user d’autorité. Après, je me sens mal. Un jour, je suis violement agressé dans la rue, frappé et laissé au sol plus ou moins conscient… Je ne vais pas bien. J’ai mal et vais à l’hôpital faire réparer ce qui peut l’être. Je suis traumatisé d’avoir été agressé, bien entendu. Mais, surtout, je suis profondément traumatisé d’avoir été agresseur.

En effet, les neurones miroirs permettent de comprendre que chaque mouvement que l’autre a fait, je l’ai fait. Chaque coup de poing qu’il a donné, je l’ai donné. Je suis agresseur malgré moi. Me voici perdu, je ne reconnais plus ma place en ce monde, j’ai peur de moi car jamais je n’ai accepté l’idée de pouvoir être agresseur. J’ai peur de ce que j’ai fait. Psychologiquement j’ai deux solutions : soit je reste bloqué sur ma peur et reste traumatisé. Soit j’accepte d’être un agresseur, je me laisse transformer par cette nouvelle. Je peux faire le choix de ne pas user de ce type de comportement, j’ai gagné en liberté.

J’ai donc eu plus peur de moi que de l’autre, évidemment.

Il serait bon d’accepter l’idée que tous les comportements me sont accessibles. Je suis un assassin, un violeur, un voleur, un menteur, un type bien aussi… La vie m’a amené à n’utiliser qu’une petite part de l’ensemble des comportements possibles. Si je confonds ce que je fais et qui je suis, je crois être cet ensemble restreint de comportements. « Enfin, je ne suis pas comme cela » est à entendre: « Usuellement, je n’utilise pas ce registre de comportement ».

Voilà qui renforce le travail, plusieurs fois évoqué en nos articles, sur la différence entre la personne et son comportement. La personne occupe une place, un lieu. Cela l’inscrit dans un ensemble de comportements. Elle ne s’y limite pas, tous les comportements sont potentiellement là. Si elle accepte d’entrer dans le mouvement, elle accepte d’élargir sa palette comportementale. Si elle accepte de se laisser transformer, elle entre dans la liberté de faire ou de ne pas faire. (To do or not to do !).

Dans ses relations, elle découvre que ce n’est pas le comportement de l’autre qui l’insupporte, c’est d’agir ainsi… Travail sur soi et non travail contre l’autre…



Ce que j’extrapole :

L’extrapolation, c’est d’imaginer que lorsque l’autre dit, nous disons… Ainsi ce ne serait plus la parole de l’autre qui nous perturberait, ce serait d’avoir dit…



Dans cette relation par la parole, une autre dimension devient passionnante, référons nous à Cet article : (Stephens GJ, Silbert LJ, Hasson U. Speaker-listener neural coupling underlies successful communication. Proc Natl Acad Sci USA 2011, 107:14425-30.) Il s’agit d’un article de neuroscience traitant de ce qui se passe dans le cerveau lorsque nous écoutons quelqu’un (nous) parler. Les chercheurs ont démontré, (comme on s’y attendait), que nous comprenons ce qui est dit avec une à trois secondes de retard. Mais surtout, ils ont démontré, qu’en même temps que nous faisons ce travail de compréhension, nous anticipons, nous imaginons, ce qui va être dit de une à six secondes… (Voilà pourquoi nous coupons la parole à notre interlocuteur en finissant son propos).

Sauf que, s’il ne dit pas ce à quoi l’on s’attend… Nous voici dans un double blanc, en effet, non seulement, notre système d’anticipation a été défaillant, mais en plus, de notre point de vue, nous avons dit n’importe quoi.




Encore une fois se pose la distinction entre la personne et son comportement. Ce que je dis ne me dérange qu’à condition d’une confusion à ce niveau. En acceptant la séparation entre la personne et son comportement, l’acceptation de ne pas savoir ce que je vais dire devient possible et sereine. Par là l’acceptation du comportement de l’autre aussi. L’acceptation ne veut pas dire la soumission, l’exigence reste, le jugement posé sur l’autre disparaît au profit de l’évaluation de son comportement.

L’extrapolation sur les neurones miroirs conjugué à la découverte de l’anticipation dans l’écoute ouvre donc à un rapport à l’autre apaisé, à condition d’un travail d’apaisement du rapport à soi. Se poser en centre de son monde tout en acceptant que l’autre soit au centre du sien devient possible.

Deux exemples permettront, je l’espère d’encore mieux comprendre mon propos. Le premier est simple, presque caricatural, le deuxième est un dialogue lors d’une séance :

1) « Mon fils est impoli, cela me met hors de moi ! ». Donc vous culpabilisez d’être impoli. Peut-être même avez vous gardé des signaux de dangers consécutifs aux sanctions reçues dans votre enfance lorsque vous étiez impoli. En ce cas, vous avez peur. Le travail d’accompagnement portera sur la culpabilité et sur les signaux de danger.

2) Patiente :« J’oublie tous les compliments de mon mari, je ne retiens que ses propos désobligeants » - Bernard : « Laissez vous installer confortablement dans le fait d’être laide, laissez votre corps y trouver une position confortable » – P : « là, j’y suis » - B : « Bien, maintenant, laissez vous installer dans le fait que vous êtes quelconque, laissez votre corps y trouver une position confortable » – P : « ça y est » - B : « bien, laissez vous installer dans le fait que vous êtes très belle, laissez votre corps y trouver une position confortable » - P : « Ha non, ça, je ne peux pas ! » - B : « laissez faire, laissez vous installer dans votre beauté, ne faites rien, laissez faire, laissez tout votre être trouver sa position… » (un temps) P : « Je me sens bien ! » - B : « Vous êtes laide, vous êtes quelconque, vous êtes très belle. (un temps). Cela a-t-il de l’importance pour vous maintenant ? » - P : « Je m’en fiche, ce n’est plus un problème, je me sens bien ».

Beaucoup de précoces gèrent les défaillances de leur système d’adaptation par un contrôle général basé sur la pensée. Bien entendu, le comportement de l’autre échappant à ce contrôle, les neurones miroirs vont venir heurter le contrôle et provoquer de l’angoisse. Le travail de fond sur la compréhension du mécanisme, puis sur la séparation personne-comportement est donc indispensable.

Pour nous, professionnels de l’accompagnement, il est fondamental d’être en conscience de notre multitude de possibilités comportementales et de la séparation entre la personne et son comportement.

Notre position est de recevoir les comportements des patients, de les laisser passer sans nous heurter et de réagir en nous laissant imprégner par la personne en face de nous, afin de créer un espace où elle puisse se laisser transformer par elle même.

Notre accès à l’autre se fait beaucoup par les neurones miroir, si nous nous bloquons, nous bloquons l’autre et l’enfermons dans ses comportements. Nous figeons l’autre par notre arrêt. Notre limpidité est la condition de la libération possible de nos patients.