Hugo est un garçon âgé de 8 ans. Hugo va mal : il est suivi depuis bientôt 5 ans par le CMPP (centre médico-psychopédagogique), sans grand résultat d'après ses parents. Le comportement d'Hugo en classe ne lui permet pas de suivre les cours correctement, c'est pourquoi il est accompagné par le RASED (Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) mais, là encore, sans résultat puisqu'il est prévu qu'il soit exclu du parcours classique pour intégrer une classe spécialisée à la rentrée prochaine. Hugo a parfois des comportements autistiques : il refuse de parler, il reste dans son coin pour éviter le contact avec les autres et se montre agressif lorsqu'on s'approche trop de lui. Suite à une consultation avec un neuropsychiatre, il a été placé sous Ritaline mais ses parents ont finalement arrêté le traitement car cela se passait mal.

Lors du premier entretien, Hugo observe et ne dit rien. Il est assis entre ses deux parents qui montent la garde autour de lui et il subit le fait d'être là. Il faut dire que la famille vient sur le conseil d'une amie mais n'y croit plus, elle a déjà vu tellement d'interlocuteurs différents... Les parents sont désespérés car tout va de mal en pis pour Hugo, son parcours n'est qu'une longue suite de catastrophes, l'avenir leur semble bien sombre et rien, ni personne, ne semble pouvoir arrêter ce processus.

Ce qui, d'emblé, est frappant dans cette famille, c'est la gentillesse des parents. Ils sont à l'écoute d'Hugo et s'ils ne comprennent pas l'origine de sa souffrance, celle-ci est reconnue comme réelle. Ils sont très sensibles au mal-être de leur fils et ont une véritable volonté de l'aider. Leur impuissance à faire quoi que soi d'efficace pour le sortir de cette spirale infernale les fait culpabiliser. Ils sont capables d'expliquer l'agressivité d'Hugo qui se manifeste, disent-ils, lorsque quelque chose ne va pas mais ils ne comprennent pas quoi. On sent qu'Hugo est un petit garçon aimé et choyé par ses parents et que personne ne comprend d'où vient ce malheur qui s'abat sur lui.

Il faut dire qu'Hugo a un frère et une sœur qui, eux, vont très bien. Ils ne posent aucun problème, tant à la maison qu'à l'école. Le reste de la fratrie est bien intégré, a de bons résultats scolaires et de nombreux amis. Alors qu'est-ce qui peut faire que pour Hugo c'est différent ? Les parents expliquent qu'ils sont d'autant plus inquiets qu'ils sont tous les deux de santé fragile et qu'ils ont conscience qu'ils ne seront peut-être pas toujours là pour assurer l'avenir d'Hugo. Que deviendra-t-il s'il ne devient jamais autonome et s'ils ne sont plus là pour l'aider ?

En reprenant la vie d'Hugo au départ, il apparait qu'il est un enfant prématuré. Il a passé quinze jours entre la vie et la mort avec une prise en charge médicale très lourde : il était intubé de toutes parts. Il a subi plusieurs interventions et fait plusieurs arrêts cardiaques. Lorsque les parents racontent, on sent tout l'attachement qu'ils ont pour leur fils, comment ils lui ont donné toute leur affection à ce moment là pour le raccrocher à la vie, combien ils étaient angoissés à l'idée de le perdre. Ces quinze jours ce fut l'enfer pour Hugo et ses parents, quinze jours d'angoisse, de douleur, d'incertitude où seul l'amour qu'ils avaient les uns pour les autres leur a permis de tenir. Et puis Hugo a survécu et tout est rentré dans l'ordre.

Hugo refuse de parler, ce n'est donc pas facile de tester son intelligence. Mais ses parents le connaissent bien et sont capables de répondre, en partie, pour lui. Ils décrivent Hugo comme un garçon hypersensible et, en dehors de ses périodes d'agressivité, extrêmement gentil. Il a très envie de se faire des amis mais il est terrorisé par les autres. Il réagit très fort aux injustices et est sensible aux ambiances. D'ailleurs, d'après eux, Hugo semble se plaire dans la pièce. Ce qui les surprend car habituellement Hugo n'aime pas se rendre chez le psychologue qui le suit. Le passage du sub-test de contrôle se fait en silence, Hugo montre simplement du doigt les réponses, les bonnes réponses. Hugo réussit tout le test, il est très largement au dessus des résultats normaux pour son âge.

La thérapie révèlera que ce sont trois éléments entremêlés qui entraînent le comportement anormal d'Hugo. Tout d'abord son extrême précocité qui, bien sûr, entraîne une hypersensibilité. Cette hypersensibilité était présente dès la naissance d'Hugo. Les quinze jours passés en néo-natalité ne furent donc pas vécus de la même manière par lui que par l'ensemble des autres enfants prématurés. Pour un hypersensible, la sensation de douleur est extrême, cela est d'autant plus vrai pour un nouveau-né qui ne peut comprendre, ni relativiser ce qu'il ressent. Il passe d'un monde où tout lui est agréable, l'utérus de sa mère, à un monde où tout le fait souffrir, la couveuse dans laquelle une multitude de tuyaux le transpercent de toutes parts. Hugo, nouveau-né est également sensible à ce qui se joue autour de lui, il ressent la très forte angoisse de ses parents et la puissance de leur amour. Tout cela va imprégner de manière irréversible sa façon d'être au monde.

Mais c'est la maladie de ses parents qui va réactiver toute cette souffrance. Sa mère souffre d'un cancer et son père subit de nombreuses opérations dues à un accident de travail. L'ambiance à la maison le renvoie en permanence à celle de l'hôpital. L'angoisse de mort qui entoure sa naissance, il la retrouve lorsque ses parents sont hospitalisés. Au fond de lui, son corps n'a pas oublié les souffrances subies et elles sont prêtes à ressurgir à tout moment. En classe Hugo est inquiet, de la même manière que ses parents étaient inquiets pour lui à sa naissance, il se demande si ses parents seront encore là lorsqu'il rentrera à la maison. Il n'arrive pas à se concentrer sur ce qui se passe autour de lui, son esprit est loin, auprès de ses parents souffrants. Cette angoisse, ajoutée aux difficultés habituellement rencontrées par les enfants précoces, en font un enfant totalement ingérable.

Au cours de la thérapie, les parents feront un énorme travail sur la culpabilité. Et non, ce n'est pas de leur faute si Hugo ne va pas bien. Bien au contraire, c'est grâce à eux si Hugo est là aujourd'hui : ils sont sa bouée de sauvetage. Puis peu à peu les parents vont comprendre le rapport au monde d'Hugo, ce qui fait sa spécificité de précoce, cela va également permettre à Hugo de formaliser ce qu'il ressent. Mais le plus dur du travail, c'est à Hugo qu'il revient, avec tout son courage il est reparti chercher toutes les peurs qu'il avait stockées au fond de lui lors de son séjour en néo-natalité, toutes ses peurs et toute sa souffrance et il les a laissées remonter peu à peu pour les laisser partir jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Depuis, Hugo va très bien : il a des copains et d'excellentes notes. Il est à la fois dynamique et tranquille. Il aime plaisanter et l'ambiance est devenue sereine à la maison. Il a même été remarqué par son entraineur sportif lors des dernières compétitions...

Bon vent, Hugo !