En début d'année, tout se passait bien à l'école. Et puis un jour, sans que je comprenne pourquoi, un grand s'est jeté sur moi et m'a frappé à coups de pieds. J'aurais du me défendre mais je n'ai rien fait. Quand j'y repense, ça me terrifie, il aurait pu me blesser très gravement, j'ai eu de la chance de m'en sortir avec quelques bleus. Lorsque je suis rentré à la maison, mes parents ont dit que ce n'était pas grave et papa a ajouté que je n'avais qu'à utiliser ce que j'apprends au judo pour me défendre. Cela fait plusieurs mois maintenant, mais c'est comme si c'était tout le temps présent, je n'arrive plus à me concentrer et j'ai souvent mal à la tête.

Tout d'abord, Thomas, il te faut bien comprendre ce qui s'est passé pour toi. Tu t'es fait agressé sans t'y attendre. Cela a entraîné une crispation de ta part, c'est à dire que depuis il y a une tension à l'intérieur de toi qui ne se relâche pas. Tu ne peux plus te détendre comme avant car tu vis avec la peur que cela se reproduise à n'importe quel moment. Tu as l'impression que ton environnement est dangereux et que tu ne le maîtrises pas. Du coup tu es sans cesse sur le qui-vive. Cette crispation peut expliquer une partie de tes maux de tête.

Ensuite tu te reproches de ne pas t'être défendu. Tu penses que tu aurais du faire quelque chose pour éviter que cela n'arrive et que, puisque tu n'as rien fait, tu as l'impression d'être en partie responsable de ce qui s'est passé. Thomas, tu n'y es vraiment pour rien. Si tu n'as pas réagi, c'est que tu étais en état de sidération. C'est à dire que cette agression ne faisait pas partie du domaine du possible pour toi avant qu'elle n'arrive. Tu étais en état de choc et donc totalement incapable de réagir. Il aurait fallu que tu aies déjà envisagé la situation avant qu'elle n'arrive pour réagir. Mais ce jour là tu étais dans l'incompréhension, tu étais face à quelque chose qui, selon toi, ne pouvait pas arriver. Donc tu n'as pas pu réagir face à ce quelque chose qui ne pouvait pas exister.

Depuis tu as peur, une terreur rétrospective s'empare de toi. A chaque fois que tu repenses à la scène, tu es dedans comme si elle venait de se passer. La douleur que tu as ressentie à ce moment là est encore en toi, intacte. Sur le moment, tu n'as pas eu peur puisque cela ne te semblait pas réel. Mais maintenant tu réalises que cela existe pour de vrai et tu as de plus en plus peur. Cette peur bloque toutes tes émotions et t'empêche de réfléchir, elle est physique et plus forte que toi : tu es pris de tremblements et de nausées quand tu y repenses. Tu as envie de t'enfuir très loin mais, en même temps, tu sais que c'est impossible, que tu es coincé dans cette histoire.

Mais finalement, le pire pour toi, c'est la réaction de tes parents : le fait qu'ils n'aient pas compris que cette agression était très grave pour toi et que cela leur semblait banal, presque normal. Pour toi, cette négation du crime est pire que le crime. Jusqu'à présent, c'était eux tes points de repères. Tu comptais sur eux pour te protéger et t'aider à faire face aux difficultés de la vie et, là, tu as le sentiment d'être trahi par ceux que tu aimes le plus. Ils n'ont pas compris, ils ne t'ont pas compris. Tu te sens vraiment seul au monde et cette trahison renforce ton sentiment d'insécurité.

Du coup tu es complètement perdu, tu ne sais plus si ce sont tes parents qui ont raison : après tout ce n'était peut-être pas si grave, ou si c'est ce que tu as ressenti qui est exact : j'ai failli être blessé très gravement. Désormais tu as deux paires de lunettes différentes pour regarder le monde autour de toi et tu es incapable de savoir quelle est la bonne : la tienne ou celle de tes parents ? Cela est très déstabilisant et t'empêche de te construire de façon solide. Tu utilises ton intelligence pour analyser ce qui t'entoure de deux façons différentes, tu obtiens donc deux réponses différentes et c'est impossible pour toi de choisir entre les deux. Bizarrement, cela a envahi toute ta vie, même face à ton travail scolaire, tu as l'impression qu'il existe deux réponses possibles et tu te retrouves en difficulté. Tu n'arrives plus à te concentrer car tu as une double vision des choses.

Derrière tout cela, il y a deux grandes tristesses à faire sortir. Deux tristesses qui sont entremêlées et bloquées par la peur. C'est beaucoup trop pour que tu t'en sortes tout seul. Le premier nœud à enlever, c'est que tes parents réussissent à comprendre ce qui s'est passé pour toi. Ce n'est pas facile parce qu'ils vont se sentir coupables de ce qui t'es arrivé, ils vont également se sentir coupables de ne pas avoir réagi et, comme toi, ils auront peur rétrospectivement. Tout cela ne va pas les aider à bien réagir. Mais ils ne sont pour rien dans tout cela, ils ne pouvaient pas prévoir cette agression et c'était impossible de deviner tout ce que cela entrainait à l'intérieur de toi.

Lorsque tu auras retrouvé la confiance qui t'unit à tes parents, ta première tristesse pourra sortir, celle de ne pas avoir des parents aussi parfaits que tu le souhaiterais. Eh oui, les parents aussi ont leurs difficultés et leurs problèmes qui font qu'ils ne sont pas toujours à la hauteur de nos espérances. Avec le temps, réaliser que tes parents sont des personnes avec leurs qualités et leurs défauts te permettra de mieux les apprécier.

La deuxième tristesse, c'est celle qui est liée à ton agression. Tu as réalisé que tu vis dans un monde violent, imprévisible, alors que tu pensais que tout allait bien pour toi jusqu'à présent. C'est triste de vivre dans un tel monde. Si rien n'est fait pour te sécuriser, ta peur bloqueras ta tristesse qui restera enfermée à l'intérieur de toi. Tu construiras alors une vision du monde dans laquelle les autres seront un danger pour toi, tu en auras toujours peur. Pour arriver à faire sortir cette seconde tristesse, il faudra te sentir rassuré, par exemple avoir trouvé une solution avec tes parents pour éviter que cette situation ne se reproduise. Toi et tes parents pourraient avoir besoin d'une aide psychologique extérieure pour démêler toutes ces difficultés.