Bonjour, L’hypnose revient dans les pratiques d’accompagnement. Beaucoup la présentent comme un outil miracle, un « répare tout ». Sans céder à cette affabulation, je suis allé voir de quoi il retournait et en suis revenu avec une pratique modifiée, profondément imprégnée par l’hypnose. Pas n’importe laquelle et surtout, pas n’importe comment. C’est sur cette pratique spécifique que portera cet article présenté en dialogue. (La plupart des livres sur l’hypnose commencent par un historique, j’y renvoie le lecteur).
- Quels sont les pré requis nécessaire à la compréhension de ce que tu vas expliquer ?
- Il est nécessaire de lire les autres articles pour les professionnels afin de comprendre les notions de « système d’apprentissage », de « système d’adaptation » et de grabouilli.
- Une pratique de l’hypnose ?
- Ce n’est pas nécessaire.
Débutons par une distinction importante :
o Les techniques pour induire l’état d’hypnose
o L’utilisation de cet état.
Je distingue 4 façons principales d’induire l’état d’hypnose :
o Un mini-traumatisme déstabilisant le sujet (rupture de pattern), permettant à l’hypnotiseur de prendre le pouvoir sur lui. Je désapprouve l’usage de cette méthode.
o Une fine manipulation par le langage, conduisant progressivement le sujet dans l’état recherché.
- Voici une référence aux techniques développées par Milton Erickson ?
- Oui, là aussi, je désapprouve ces méthodes
o Un affichage clair de ce qui va se passer et même une explication au fur et à mesure de ce qui se passe, de façon à ce que le sujet s’installe par lui-même dans l’état d’hypnose. Là, j’approuve
o Un exercice de focalisation sur les sensations, provoquant généralement un état d’hypnose. Là aussi j’approuve.
- Sur quels fondements s’appuie ton rejet des deux premières techniques ?
- D’abord pour des raisons éthiques : J’entends bien le discours sur la « manipulation pour le bien de l’autre » et la métaphore disant que le kinésithérapeute est un manipulateur. Toutefois, je pense que notre position est de réduire au maximum notre influence par l’analyse de nos propres ressentis, ou même par leur simple disparition en acceptant une invasion par les émotions du patient, même pendant l’induction. Cela me paraît incompatible avec une utilisation volontaire de la manipulation. A mon avis, nous travaillons à réduire, voir supprimer notre influence, alors, manipuler ou prendre le pouvoir, inscrit dans une contradiction éthique.
- Tu te laisse envahir !
- Le travail sur soi, les lectures, les apprentissages de techniques permettent de réagir spontanément à ce qui se passe. Ce n'est pas moi qui veut, ça réagit comme ça à travers moi. En quelque sorte, c'est un métier basé sur des réflexes. Voilà pour la première raison.
Ensuite : Les personnes qui viennent me voir présentent en général un niveau de contrôle très élevé. Le « lâcher-prise » leur est complètement étranger.
Mon positionnement est de leur permettre d’y aller, en les respectant. Lors de l'induction, à partir de l’instant où ils constatent qu’ils sont en train de perdre un peu du contrôle de ce qui se passe en eux, beaucoup bloquent tout « laisser aller » dans l’état d’hypnose,.
J’estime préférable de travailler sur ce qui les bloque là, plutôt que de les y amener de force ou par malice. A la limite, je considère que pour ceux là, l'ouverture à l'état d'hypnose sera le marqueur qu'un grand épanouissement s'est opéré.
Donc, ni manipulation, ni prise de pouvoir. Je suis convaincu que la réussite d’un accompagnement est essentiellement due à la posture de l’accompagnant, tout le reste est de la confiture. Ce que je suis en train d'étaler d’ailleurs.
- Tu rejoins là François Roustang lorsqu’il parle de son positionnement, seul le patient compte, n’être là que pour lui.
- Oui, tout à fait, nous reviendrons sur son travail.
Restent donc deux catégories d’induction. La première est intéressante en ceci que le patient comprend, il maîtrise la façon dont il lâche. Par exemple : Je lui demande de fixer un point, je lui explique que cela crée de la fatigue oculaire, puis je lui explique le trajet de la lumière dans la pièce, jusqu’à la fabrication de l’image dans l’aire visuelle du cerveau… Il n’a plus qu’à laisser faire son cerveau. Il s’installe dans ne rien faire. Bien entendu ce mode d’induction permet de passer au « ne rien faire » de Gaston Brosseau. Ajoute à cela un fond de tambour chamanique…
- Un fond sonore ? voilà qui est original ! Quel est l’objectif de cette bizarrerie ?
- Faciliter l’auto-hypnose. Je leur passe l’enregistrement des tambours, chez eux il est facile d’y aller. Cela permet aux suivis de durer encore moins longtemps.
Cette première catégorie d’induction va permettre deux types de travaux sous hypnose : Du Finel ou du Roustang. La deuxième va uniquement permettre de faire du Roustang.
Cette dernière catégorie d’induction est très particulière. Je demande à la personne d’être attentive à s’asseoir confortablement. D’être attentive à toutes ses sensations physiques : contacts, poids, confort etc. De s’y réduire… Les explications sur la liaison avec le système d’adaptation vont permettre d’éclairer le propos.
- Il y a besoin ! Finel, Roustang… Où vas-tu ?
- En hypnose se trouvent facilement des gens qui utilisent l’état d’hypnose pour donner des ordres au sujet (suggestions post-hypnotiques). Cela me fait frémir. Dans ce domaine, il existe des livres de scripts, à lire aux gens pendant qu’ils sont en transe hypnotique. Je ne plaisante pas, une induction par manipulation ou rupture de pattern pour induire l’hypnose, puis la lecture d’un texte dans un livre… En matière de respect de l’humain, cela me choque profondément.
Heureusement, il y a aussi des gens travaillant sérieusement. Parmi ces derniers se rencontrent Messieurs Kévin Finel et François Roustang. Tous deux sont des hypno thérapeutes de qualité. Ce sont des maîtres en leur domaine. Ils font de l’hypnose, les deux se réclament d’Erickson. Pourtant, ce qu’ils font, chacun avec grand talent, n’a rien en commun.
Kevin Finel induit l’hypnose en usant de manipulations d’une rare efficacité, puis sur un trouble, un symptôme particulier, il demande à l’inconscient de la personne d’élaborer, si possible, une nouvelle façon de gérer la problématique de fond, un nouveau comportement. Au passage, il interroge l’inconscient sur la nécessité de maintenir un signal. A aucun moment il n’impose de réponse à l’inconscient. Il stimule l’inconscient afin de le motiver à transformer sa gestion d’un événement et à modifier les incidences comportementales de ses conflits internes. Bien entendu, je ne suis pas d’accord avec sa catégorie d’induction.
Il se définit lui même comme un « Pédagogue » du cerveau. En effet, il travaille sur la modification des comportements après un astucieux travail sur la culpabilité (« vous avez fait du mieux que vous le pouviez »). Dans les schémas, je considère qu’il utilise l’hypnose pour agir sur le système d’apprentissage. Sa catégorie d’induction mise à part, son travail est de l’orfèvrerie.
La plupart des hypno thérapeutes se réclamant d’Erickson, travaillent en fait sur le système d’apprentissage. Ils permettent au cerveau de modifier les comportements par levée de la culpabilité.
- Donc tu ne rejettes pas les travaux d’Erickson, et tu considères que ce que la majorité des hypno thérapeutes pratiquent est une action sur le système d’apprentissage. C’est la demande de beaucoup de gens d’être débarrassé d’un comportement gênant.
- Oui, là deux cas se présentent :
o Soit le comportement en cause est la manifestation d’une culpabilité ou d’une peur ancienne depuis longtemps disparue. Le comportement est resté par maintient de la culpabilité ou par habitude (s’il venait d’une peur). En ce cas, la modification du système d’apprentissage sera efficace.
o Soit le comportement en cause est la manifestation d’une peur toujours agissante. En ce cas, la modification entrainera l’émergence d’un autre grabouilli. La manifestation du problème sera déplacée, rien, en fait, ne sera résolu.
- Donc, pourquoi pas ?
- Pourquoi pas, en effet, cela répond à beaucoup de problématiques. Si je m’en tiens aux personnes qui viennent me consulter, c’est rare. Les personnes qui arrivent à mon cabinet ont souvent déjà un parcours lourd. L’action sur la culpabilité leur fait du bien, mais le fond résiste.
- Donc, on arrive à François Roustang. C’est un atypique de l’hypnose, une personne qui interpelle et interroge beaucoup. Un mélange d’hypnose et de Zen en quelque sorte ?
- Un monsieur qui réfléchit beaucoup afin de ne plus réfléchir…
François Roustang introduit à une pratique originale de l’hypnose, basée sur un retour aux fondamentaux. Avant tout, nous sommes simplement des êtres vivants dans un environnement. Impossible de nous abstraire de l’environnement. Nous sommes en permanence en interaction avec tout ce qui nous entoure, avec notre contexte de vie. Nous n’existons pas en dehors.
D’une certaine façon, la conscience de notre existence est la manifestation de cet aller-retour entre notre vie intérieure et notre extérieur. Ceci posé, le seul accès à l’extérieur est une reconstruction intérieure. Nous n’avons jamais accès au monde, nous avons accès à la façon dont nous l’interprétons. Cette interprétation commence par des sensations physiques, se poursuit par des ressentis émotionnels et enfin se transforme en pensées.
Se positionner confortablement par rapport à l’ensemble des éléments de notre existence, implique donc un centrage sur le cerveau reptilien. Qu’est-ce qu’aller bien, sinon s’y glisser confortablement et s’y laisser porter. En quelque sorte redevenir reptile, ce qui chez l’humain consiste à redevenir nouveau-né, peut-être même fœtus. Ce qui implique d’être en deçà (avant) des défaillances du système d’adaptation.
Demander à une personne de laisser son corps l’asseoir confortablement, est un exercice, c’est lui faire faire une focalisation sur le reptilien, un arrêt du limbique et du néocortex. C’est faire faire au cerveau l’expérience de la possibilité de lâcher ce par quoi il gère les défaillances du système d’adaptation. Lui faire constater que c’est possible, s’il s’y laisse aller, de se laisser transformer. C’est donc donner au système d’adaptation la possibilité de se reconfigurer autrement (n’oublions pas que l’hippocampe se renouvelle).
Par cette focalisation et cette absorption dans les sensations, c’est la levée des peurs qui devient possible. C’est la reprise de mouvements bloqués, c’est la stimulation de la capacité Barbapapa qui s’opère. L’arrêt de la volonté permet la reprise du mouvement.
Au cours de ces exercices, souvent l’état d’hypnose vient, comme effet secondaire du centrage sur les perceptions. La personne est conduite à progressivement mélanger, indifférencier l’origine de ses perceptions et sensations (entendre avec son ventre – respirer par les pieds, Etc). La dissociation induite par l’état d’hypnose, favorise l’accès au reptilien, la personne peut vivre des expériences particulières, en dehors de toute volonté, de toute pensée et de toute émotion. Par exemple, la personne peut devenir le fauteuil sur lequel elle est assise, puis la moquette sur laquelle est posé ce fauteuil…
La séparation entre la personne et son comportement est vécue pleinement et confortablement. La personne « est » sans aucun « agir ». Elle revient à ses fondamentaux de bébé. A partir de là elle retrouve sa « configuration » initiale, puis peut réintégrer sa vie actuelle. Je parle souvent de « reset » !
Un autre aspect de cette pratique si singulière est une forme d’accès au présent. Lorsque disparaissent pensées et émotions, la sensation d’être dans le présent s’intensifie. Être pleinement vivant maintenant. J’ai coutume de dire que « la vie est un présent qui se renouvelle sans cesse », par ce type d’exercice, il s’agit de le vivre. Bien entendu, la personne extraite de ses peurs de l’avenir, de ses culpabilités du passés, des traces de ses peurs obsolètes, se sent simplement bien dans son contexte…
- Impressionnant !''
- Oui, François Roustang a ouvert une porte. Je l’ai franchi et vais à mon pas dans ce chemin que je ne connais pas… Cela transforme !
Je développe cette approche en tant que tel. Mais, beaucoup de personnes ne sont pas prête face à des exercices aussi déstabilisants. Alors, je travaille sur l’adaptation de ces pratiques aux enfants. Par ailleurs, j’intègre cette dimension dans les suivis d’adultes basés sur la parole, je modifie mon travail avec les adolescents… Cela part dans tous les sens. C’est le début de quelque chose…
Bien entendu, il n’y a pas de miracle, parfois le résultat est époustouflant, parfois l’impression de lutter contre des moulins à vent revient… Rien n’est acquis dans ce métier, heureusement !
Par contre, ce qui c’est posé comme évidence, est la diminution de la durée moyenne des suivis. Il est impossible de fixer à l’avance le nombre de séances nécessaire, toutefois, le turn-over de mon activité a encore augmenté.
L’hypnose s’avère donc une pratique passionnante dans l’accompagnement des précoces. Je lui pose comme limites la seule utilisation des deux catégories d’inductions que je respecte et l’utilisation de pratiques centrées sur le système d’adaptation.
Après une bonne année de pratique soutenue de l’hypnose et des années d’accompagnement en tant que psychologue, j’ai l’impression de débuter ! De parvenir dans une terre à défricher en suivant les premiers déblaiements de François Roustang. J’invite mes collègues à arpenter ce chemin, à défricher par eux mêmes. Dans un an, un bilan d’évolution, pourquoi pas ?